Kamila Valieva, patineuse russe de 15 ans, a marqué cette 24ème édition des Jeux Olympiques d'hiver à Pékin par ses exploits sportifs mais pas seulement.
La jeune prodige du patinage artistique a en effet été confrontée à des faits présumés de dopage ayant conduit le Comité International Olympique (CIO), l'Union Internationale de Patinage (UIP) et l'Agence Mondiale Antidopage (AMA) à saisir le Tribunal Arbitral du Sport (TAS).
Ce recours - dont le timing interroge - a suscité de vifs débats par l'ensemble des acteurs du monde du sport.
Les faits sont plutôt classiques.
Lors des championnats de Russie qui se sont tenus à Saint-Pétersbourg en décembre 2021 où elle remporta la médaille d'or pour sa première participation chez les adultes, Kamila Valieva a été testée positive à la trimétazidine le 25 décembre 2021. Cette substance est notamment utilisée pour soulager les angines de poitrine et figure sur la liste des substances et méthodes interdites par l'AMA depuis 2014 au motif qu'elle favoriserait la circulation sanguine (catégorie S4 "modulateurs hormonaux et métaboliques").
Le 7 février 2022, Kamila Valieva, auteur du premier quadruple saut de l'histoire des Jeux Olympiques lors de l'épreuve par équipes, a permis au Russian Olympic Committee ("ROC") de remporter la médaille d'or.
Ce n'est que le lendemain, soit le 8 février 2022, que l'Agence Antidopage russe, "RUSADA", lui notifiait un résultat d'analyse anormal à la suite de son contrôle antidopage du 25 décembre 2021, soit 44 jours après ledit contrôle, alors que les standards internationaux de l'AMA préconisent une notification du résultat sans délai au sportif[1].
L'Agence RUSADA a ainsi suspendu provisoirement la patineuse titrée la veille avec l'équipe ROC.
Le 9 février 2022, Kamila Valieva a immédiatement relevé appel de cette décision devant le comité disciplinaire de RUSADA et a obtenu la levée de sa suspension provisoire, lui permettant ainsi de s'aligner sur l'épreuve individuelle féminine de patinage des Jeux Olympiques d'hiver de Pékin prévue aujourd'hui.
Cependant, le 11 février 2022, le CIO, l'UIP et l'AMA ont relevé appel de cette décision devant le TAS afin de demander le maintien de la suspension provisoire de Kamila Valieva.
Cette affaire s'inscrit dans le contexte de la décision rendue par le TAS le 17 décembre 2020 aux termes de laquelle la Russie a été suspendue de toute compétition internationale pour deux ans, impliquant ainsi les Jeux Olympiques d'été de Tokyo et d'hiver de Pékin. La décision prise en 2020 visait directement l'Agence Antidopage russe "RUSADA" pour avoir orchestré et dissimulé un dopage institutionnalisé, puis manipulé des données informatiques réclamées par l'AMA.
C'est la raison pour laquelle les sportifs russes concourent depuis cette date sous pavillon neutre, Russian Olympic Committee ("le ROC"), s'ils n'ont pas été personnellement sanctionnés pour dopage.
Comme nous l'avions rappelé dans notre article relatif à la disqualification du boxeur français Mourad Aliev lors des Jeux Olympiques d'été de Tokyo, la Chambre ad hoc, qui est une formation spécifique du TAS établie sur le site des Jeux Olympiques, est en charge de trancher le litige qui lui est soumis et de rendre une sentence dans des délais compatibles avec l'organisation d'une telle compétition.
On le sait, les règles antidopage sont nombreuses et très strictes car les conséquences sont lourdes pour les athlètes. Ces règles ont été instaurées pour assurer l'égalité entre les sportifs et faire ainsi triompher les valeurs que le sport et l'esprit de l'Olympisme doivent véhiculer.
En l'espèce, la Chambre ad hoc du TAS était tenue de répondre à la question de savoir si une suspension provisoire devait être imposée à l'athlète Kamila Valieva l'empêchant ainsi de poursuivre les Jeux Olympiques de Pékin. Il n'était pas demandé à la Chambre ad hoc du TAS de se prononcer sur le fond de l'affaire, ni d'examiner les conséquences juridiques liées aux résultats de l'épreuve par équipes en patinage artistique, car ces questions seront tranchées dans le cadre de procédures ultérieures.
Sur le plan juridique
Sur le plan juridique, Kamila Valieva est une athlète bénéficiant du statut de "personne protégée" en vertu du Code Mondial Antidopage. Ce statut a été introduit par l'AMA début 2021 et vise à protéger les sportifs de moins de 16 ans.
Le Code Mondial Antidopage définit la personne protégée comme un "sportif ou autre personne physique qui, au moment de la violation des règles antidopage, (i) n’a pas atteint l’âge de seize (16) ans, (ii) n’a pas atteint l’âge de dix-huit (18) ans et n’est pas inclus(e) dans un groupe cible de sportifs soumis aux contrôles et n’a jamais concouru dans une manifestation internationale dans une catégorie ouverte, ou (iii) est considéré(e) comme privé(e) de capacité juridique selon le droit national applicable, pour des raisons sans rapport avec l’âge".[2]
Le Code précise que les athlètes protégés seront traités différemment des autres sportifs dans certaines circonstances au motif que, en dessous d’un certain âge ou d’une certaine capacité, "un sportif ou une autre personne peut ne pas avoir les moyens suffisants pour comprendre et apprécier les interdictions mentionnées par le Code à l’encontre de certains comportements".
Conformément à l'article 10.3 intitulé "suspension pour d'autres violations des règles antidopage" du Code mondial antidopage, en bénéficiant de ce statut de "personne protégée", le sportif encourt une sanction moins sévère en cas de violation des règles antidopage, allant d'une réprimande à deux ans de suspension maximum, contre quatre ans de suspension pour un athlète non protégé.
Dans sa décision du 14 février 2021, la Chambre ad hoc du TAS retient que :
"[…] b) Les règles antidopage de RUSADA et le CMAD sont silencieuses en ce qui concerne les suspensions provisoires imposées aux personnes protégées, alors que ces règles comportent des dispositions spécifiques pour différentes normes de preuve et pour des sanctions plus faibles dans le cas de personnes protégées ;
c) La formation a tenu compte des principes fondamentaux d'équité, de proportionnalité, de préjudice irréparable, et l'équilibre relatif des intérêts entre les requérants et l'athlète, qui n'a pas été contrôlée positif pendant les Jeux Olympiques de Pékin et qui fait toujours l'objet d'une procédure disciplinaire sur le fond à la suite du contrôle antidopage positif effectué en décembre 2021 ; en particulier, la formation a estimé que le fait d'empêcher l'athlète de participer aux Jeux olympiques lui causerait un préjudice irréparable dans ces circonstances ;
d) La Formation du TAS a également souligné qu'il y avait de graves problèmes de notification tardive des résultats du contrôle antidopage de l'athlète effectué en décembre 2021 qui a empiété sur la capacité de l'athlète à établir certaines exigences légales à son profit, alors que cette notification tardive n'était pas de sa faute, en plein milieu des Jeux Olympiques d'hiver Pékin 2022." (Traduction libre de l'anglais vers le français).
La Chambre ad hoc du TAS a ainsi tout d'abord considéré que les règles antidopage édictées par RUSADA et le Code Mondial Antidopage sont silencieuses en ce qui concerne les suspensions provisoires imposées aux personnes protégées telles que Kamila Valieva.
Par ailleurs, la Chambre ad hoc du TAS a souligné qu'il y avait de graves "problèmes" de notification des résultats du contrôle antidopage, privant ainsi l'athlète d'une chance de soulever des arguments juridiques pour s'y opposer, eu égard à la tardiveté de la notification.
Nul doute que cette notification interroge quant à la durée inhabituellement longue entre le prélèvement du test réalisé par RUSADA le 25 décembre 2021, et le résultat du contrôle antidopage par un laboratoire agréé situé à Stockholm le 8 février dernier, soit le jour de l'épreuve ayant sacré Kamila Valieva.
Comme l'a d'ailleurs précisé le Directeur Général du TAS, Matthieu Reeb, "ce n'est pas la faute de l'athlète si la notification lui est parvenue en plein milieu des JO".
Enfin, pour justifier sa décision, la Chambre ad hoc du TAS a insisté sur les principes fondamentaux d'équité, de proportionnalité et de "préjudice irréparable" :
"la formation a estimé que le fait d'empêcher l'athlète de participer aux Jeux olympiques lui causerait un préjudice irréparable dans ces circonstances".
Devons-nous conclure que les arbitres du TAS ont, comme certains le soutiennent, été cléments avec la jeune patineuse ? Assurément non et il nous semble que le TAS a rendu une sentence qui est juridiquement fondée et motivée.
En effet, un examen précis du fond de l'affaire doit être mené, en particulier, sur les circonstances qui entourent tant le contrôle antidopage réalisé le 25 décembre 2021 que la notification tardive du résultat qui en découle.
C'est dans cet esprit que les arbitres du TAS ont justifié leur décision en retenant que la suspension provisoire de Kamila Valieva lui causerait un préjudice "irréparable" car irréversible. Le TAS privilégie ainsi la correction a posteriori d'un résultat sportif en cas de violation avérée des règles antidopage plutôt qu'une sanction a priori qui apparaît disproportionnée pour un athlète de haut niveau.
Kamila Valieva pourra donc concourir à l'épreuve individuelle prévue, pour le programme court, ce jour, et le programme libre, le 17 février prochain.
Cependant, la bataille judiciaire n'est pas terminée puisqu'une autre audience aura lieu dans les prochaines semaines, à l'issue de laquelle les résultats obtenus par Kamila Valieva depuis son contrôle antidopage positif pourraient, rétroactivement, être annulés.
Affaire à suivre…
Publié le
15 février 2022
Xavier Salvatore
Avocat au barreau de Paris