Le monde entier a été spectateur de la disqualification de Mourad Aliev lors des Jeux Olympiques de Tokyo 2020. Cette décision a été vivement critiquée par l'ensemble des acteurs du monde du sport.
Mourad Aliev (France) et Frazer Clarke (Grande-Bretagne) se sont affrontés le 1er août 2021 lors des quarts de finale du Tournoi Olympique de Boxe amateur dans la catégorie des plus de 91 kg. Mourad Aliev a remporté le premier Round ayant été désigné vainqueur par trois des cinq juges.
Lors du deuxième Round, suite à une coupure de l’arcade sourcilière de Frazer Clarke, l’arbitre a dit “Time”. Le chronomètre a été ainsi arrêté alors qu’il restait 4 secondes de combat dans ce Round. L’arbitre a décidé de donner un avertissement à Mourad Aliev pour avoir prétendument porté plusieurs coups de tête à son adversaire.
Puis, le combat a été arrêté et la victoire de Frazer Clarke annoncée. La fiche de résultat confirme que l’arbitre a prononcé la disqualification de Mourad Aliev.
A l’issue du combat, Mourad Aliev a contesté sa disqualification auprès de l’IOC BTF (c’est-à-dire la Task Force de Boxe du Comité International Olympique). Le même jour, le directeur de l’IOC BTF a rejeté cette demande en indiquant que la procédure de révision des résultats par visionnage ne concernait pas le Tournoi Olympique selon les amendements apportés à la Règle 20 de l’Association Internationale de Boxe Amateur (AIBA) par l’IOC BTF. La décision de l’arbitre prise sur le ring était donc maintenue.
Mourad Aliev, la Fédération Française de Boxe et le CNOSF (ci-après "les demandeurs") ont alors saisi le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) afin de demander l'annulation de la décision de disqualification prononcée par l’arbitre du combat, laquelle venait d'être confirmée par le Directeur de l'IOC BTF. Les demandeurs sollicitaient ainsi la reprise du combat à compter du début du deuxième Round avec un arbitre et des juges différents.
Pour ce faire, les demandeurs ont soutenu que l’arbitre du combat aurait commis a minima une "faute technique d’arbitrage" en appliquant de manière erronée les dispositions des Règles de l’AIBA. Selon les demandeurs, une distinction devait être opérée entre d'une part, la “faute technique d’arbitrage” qui serait susceptible de révision par une juridiction au motif que l’arbitre de combat n’aurait aucune marge d’appréciation et, d'autre part, “l’erreur d’arbitrage” sur laquelle une juridiction ne peut porter d’appréciation puisqu’elle concernerait un domaine où l’arbitre de combat disposerait cette fois d’une marge d’appréciation.
Il convient tout d'abord de rappeler que le Règlement d'arbitrage pour les Jeux Olympiques prévoit en son article premier, qu'une demande d'arbitrage peut être introduite devant le TAS à l'encontre d'une décision rendue par le Comité International Olympique, par un Comité National Olympique, par une fédération internationale ou par le Comité d'organisation des Jeux Olympiques.
La Chambre ad hoc, qui est une formation spécifique du TAS établie sur le site des Jeux Olympiques, est en charge de trancher le litige qui lui est soumis et de rendre une sentence dans des délais compatibles avec l'organisation d'une telle compétition.
En l'espèce, la Chambre ad hoc du TAS devait répondre à la question de savoir si la décision de disqualification prononcée par l’IOC BTF pouvait être annulée sous l’angle restreint de la violation de la loi, des règlementations fédératives ou des principes généraux du droit. Le TAS a en effet préalablement rappelé qu'il devait s'abstenir de revoir toute décision d'ordre technique en s'appuyant sur le principe suivant lequel les règles de jeu, au sens strict, ne doivent pas être soumises au contrôle des juges, partant de l'idée que “le jeu ne doit pas être constamment interrompu par des recours au juge” (ATF 118 II 12/19 Kindle c. FMS).
Les demandeurs n’ont fait état d’aucune violation de la loi mais ont cependant allégué plusieurs violations de règles fédératives qu’ils ont qualifiées de “faute technique d’arbitrage” susceptible de révision par une juridiction en l'absence de marge d'appréciation de l’arbitre.
Les défendeurs (à savoir Frazer Clarke, IOC BTF et British Olympic Association) ont quant à eux affirmé que la demande d’arbitrage était vexatoire en ce qu’elle constituait de manière flagrante une demande de révision d’une règle de jeu, laquelle est prohibée par la jurisprudence constante du TAS suivant laquelle les arbitres (du TAS) s'abstiennent de réviser les décisions prises sur le terrain par les arbitres ou autres officiels chargés d'appliquer les règles du jeu, à moins qu'il n'existe des preuves que ces règles aient été appliquées de manière arbitraire ou de mauvaise foi (CAS OG 16/028 et TAS JO 96/006).
C'est précisément sur cette jurisprudence constante que la juridiction arbitrale s'est fondée pour rendre sa sentence. La Chambre ad hoc du TAS a ainsi considéré que les demandeurs n'apportaient aucun élément permettant de démontrer que l'origine de la disqualification de Mourad Aliev relevait d'un acte de fraude, de mauvaise foi ou de corruption de l'arbitre de combat.
Les demandeurs ont d'ailleurs indiqué au TAS qu’il ne pouvait s’agir d’un cas de corruption ou de mauvaise foi, mais plutôt d’un manque d’expérience de l’arbitre du combat qui a disqualifié Mourad Aliev.
Pour justifier sa décision, la Chambre ad hoc du TAS rappelle également que "cette doctrine des règles du jeu, érigée en principe fondamental de la lex sportiva, se justifie par le besoin de préserver le caractère final et la certitude des résultats sportifs relevant de l’autorité des arbitres des évènements sportifs, le manque d’expertise technique des membres des tribunaux d’arbitrage, le besoin d’éviter l’interruption des compétitions et la nécessité de limiter le risque de laisser le terrain juridique inondé par un flux de demande de révision et récriture des résultats sportifs (CAS 2015/A/4208)."
A la lumière des éléments qui ont été portés à sa connaissance et de sa jurisprudence constante en la matière, la Chambre ad hoc du TAS a, sans réelle surprise, rejeté la demande tendant à l'annulation de la disqualification prononcée à l'encontre de Mourad Aliev. En revanche, et c'est bien là l'un des intérêts majeurs de cette sentence du 3 août 2021, le TAS a invité l'IOC BTF à prendre des mesures permettant d'éviter que de telles erreurs puissent se reproduire à l’avenir. Parmi ces mesures, on pense notamment à l'assistance vidéo qui s'est révélée très utile dans bon nombre de sports tels que l'escrime, le rugby, le basketball etc.
Le TAS a en effet indiqué :
"Néanmoins, suite au visionnement de la vidéo du combat et de la fiche des résultats, la Formation ad hoc n’exclut pas l’éventualité d’erreurs significatives d’arbitrage accompagnées d’un manque d’information et de transparence à l’égard de Mourad Aliev. Ces sérieux doutes et ce manque de clarté à un tel niveau de compétition conduisent la Formation à estimer nécessaire de souligner l’importance du rôle que l’IOC BTF revêt afin de s’assurer que de telles erreurs, si elles ont véritablement eu lieu lors du combat litigieux, ne puissent plus se reproduire."
Devons-nous en déduire que les arbitres du TAS ont reconnu que Mourad Aliev a été victime d'une "erreur" commise par l'arbitre du combat (ce que le principal intéressé a d'ailleurs indiqué à divers journalistes à sa sortie du ring) ? Assurément, même si comme nous l'avons rappelé précédemment, le TAS est tenu de rendre une sentence qui soit juridiquement fondée et motivée.
Le CNOSF a d'ores et déjà fait part de sa volonté de mettre en place l'assistance vidéo sur les combats de boxe dans la perspective des Jeux Olympiques qui se dérouleront à Paris en 2024.
La volonté des organes compétents de faire évoluer les règlements sportifs afin d'éviter de nouvelles erreurs est à saluer, et ce faisant de faire ainsi triompher les valeurs que le sport et l'esprit de l'Olympisme doivent véhiculer.
Publié le
5 août 2021
Xavier Salvatore
Avocat au barreau de Paris